Chatty Ecoffey
Membre du comité
C’est la figure de proue des familles arc-en-ciel en Suisse romande. Chatty Ecoffey, 41 ans a fait du combat pour le droit à l’adoption sa profession de foi. Il faut dire que, en dépit de son orientation sexuelle, elle n’aurait jamais pu imaginer sa vie sans enfants. Co-présidente de l’association faîtière Familles arc-en ciel et de l’association 360, elle est partenariée avec sa compagne qui a porté les deux enfants dont elles ont rêvé et qu’elles élèvent ensemble.
Vous avez toujours voulu des enfants?
Toujours, même si je me suis posée beaucoup de questions au début, notamment s’il était légitime pour moi d’en avoir. J’étais convaincue que ce n’est pas notre orientation sexuelle qui fait de nous de bons ou de mauvais parents, mais j’étais habitée, comme tout le monde, par un modèle hétérosexuel de la famille, avec un papa et une maman. Puis, au fil du temps, ma vision a évolué. J’ai réalisé que la force de mon couple nous donnait les capacités pour élever des enfants, ma compagne et moi, sans avoir forcément besoin d’un père investi dans leur vie, car cela aurait été, non plus un projet de couple, mais de groupe. Ce qui ne veut naturellement pas dire que nous avons exclu tout modèle masculin de la vie de nos enfants.
Vous êtes donc la mère non-statutaire de vos enfants. Que se passerait-il si votre compagne venait à décéder?
On a pris des dispositions. Ma compagne a rédigé un testament dans lequel elle demande que je sois désignée comme tutrice en cas de décès. Mais ce document n’a pas de force contraignante pour le juge, qui peut décider de ne pas le suivre. Donc, malgré ces précautions, nous n’avons aucune garantie. Le seul moyen d’avoir une véritable protection pour les enfants dans un schéma familial tel que le nôtre, serait que j’aie le droit de les adopter en interne, afin que notre réalité quotidienne soit aussi une réalité juridique. Mais cela reste pour l’instant impossible en Suisse.
C’est la raison de votre combat?
Oui. L’article 28 de la loi sur le Partenariat enregistré interdit l’adoption par le couple et l’accès à la procréation médicalement assistée sur sol Suisse. Dans les faits, cette interdiction veut dire qu’un seul des deux parents est reconnu légalement et que l’autorité parentale partagée est impossible. La relation entre l’enfant et sa mère sociale n’est donc pas protégée juridiquement. Les enfants élevés par deux personnes liées par un partenariat enregistré sont donc soumis à traitement inégal comparé à ce qui se passe pour un couple marié. Et c’est injuste. Un jour, alors que je faisais signer la pétition «Mêmes chances pour toutes les familles», mon fils de 8 ans m’a dit : « Mais pourquoi tu devrais m’adopter, puisque tu es déjà ma maman ?» A son âge, il ne peut pas comprendre cette réalité absurde mais les parents sociaux comme moi, c’est-à-dire les partenaires des parents biologiques, n’ont aucun droit, même pas celui de pouvoir inscrire leur enfant dans une crèche!
Pourquoi dites-vous que vous avez les mêmes devoirs?
Le texte de la loi sur le partenariat indique que l’on doit aux enfants « assistance financière et éducation ». Ma compagne et moi sommes ainsi taxées pour la crèche sur nos deux salaires. Par contre, si je venais à décéder, mes enfants ne pourraient pas toucher une rente d’orphelins ou bénéficier des droits successoraux sur mon héritage. De même en cas de séparation, je «pourrais me voir accorder par le juge le droit d’entretenir des relations personnelles» avec mes enfants, mais pas un droit de garde et je n’aurais pas l’obligation de verser une pension. On ne peut pas d’un côté nous reconnaître de fait une capacité à élever des enfants en nous imposant un certain nombre de devoirs, et de l’autre, ne pas nous donner des droits équivalents. C’est une injustice!
In fine, ce sont donc les enfants qui pâtissent de cet illogisme?
Oui. Dans d’autres pays, les enfants élevés par des couples de même sexe sont mieux protégés. En France, si votre union est stable et que la mesure respecte l’enfant, vous pouvez partager l’autorité parentale. En Espagne, depuis 2008, le mariage civil est ouvert à tous les couples. C’est désormais une union non-discriminatoire, qui ne fait aucune différence biologique entre les conjoints. La conséquence est que, quand ces couples ont des enfants, on ne fait plus de différence entre les parents. Il y a automatiquement le parent 1 et le parent 2, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
En somme l’ouverture du mariage aux homosexuel-le-s simplifierait tout?
Oui, nous aurions exactement les mêmes droits que les parents hétérosexuels et on nous ne serions plus traités comme citoyen-ne-s de seconde zone. Le partenariat fédéral reste une loi d’exception, réservée uniquement au couples de mêmes sexe. Pourquoi ne pas ouvrir le mariage aux homosexuel-le-s et le partenariat fédéral aux couples hétérosexuels ? Ainsi il n’y aurait plus de différence et de discrimination.
Que réclamez-vous donc?
Nous demandons la levée de l’interdiction d’adopter inscrite dans la loi sur le partenariat fédéral. Il n’y a malheureusement aucune statistique, mais, en se basant sur des chiffres de l’Allemagne et de la France, on estime entre 6000 et 30 000 le nombre d’enfants qui sont élevés dans des familles arc-en-ciel. On pense à leur bien-être, à leur protection. L’Etat doit prendre en compte cette nouvelle réalité sociale et cesser de maintenir nos familles dans la précarité.
Prônez-vous l’adoption des enfants déjà existants ou des autres également?
Nous demandons le droit à l’adoption interne, c’est-à-dire au sein du couple, mais également externe, y compris celle d’un enfant adoptable dans un pays étranger. Une personne homosexuelle seule peut adopter, sans restriction, mais on lui refuse ce droit lorsqu’elle est en couple partenarié et décide de fonder une famille. C’est une situation absurde!
Le combat pour le droit à l’adoption est de niveau national, qu’aimeriez-vous voir inscrit dans la Constitution genevoise actuellement en révision ?
Nous souhaiterions que la nouvelle constitution garantisse le principe de non-discrimination des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. Elle devrait également garantir la reconnaissance et la protection, dans l’intérêt des enfants, des différentes familles au sein desquelles ils naissent, qu’elles soient monoparentales, recomposées, ou, bien sûr, homoparentales. Cela permettrait, entre autres, d’exiger une formation des professionnels du public et du privé à l’accueil des familles non-conventionnelles comme la nôtre, à commencer par le personnel des crèches et des écoles.